Implication des grands-parents : ont-ils moins d’engagement qu’avant ?

Seniors en famille dans un salon chaleureux

Entre 1980 et 2020, le temps passé par les grands-parents avec leurs petits-enfants a diminué de 20 % en France, selon l’INSEE. Pourtant, 65 % des familles déclarent compter sur eux pour des questions de garde ou d’accompagnement éducatif.

Les attentes envers les aînés évoluent au même rythme que la structure familiale et les parcours professionnels des parents. Les repères traditionnels se heurtent à de nouvelles réalités, parfois contradictoires, qui reconfigurent la place des grands-parents au sein des foyers.

La place des grands-parents dans la famille aujourd’hui : entre héritage et nouvelles attentes

Transmettre, épauler, rassurer : la famille traverse les générations, mais sa forme n’a plus rien de figé. L’image d’Épinal des grands-parents tout-puissants, veillant sur la tribu à l’ombre d’une nappe brodée, cède du terrain face à des quotidiens éclatés et des emplois du temps morcelés. Les rythmes professionnels s’accélèrent, les kilomètres s’additionnent, et l’équilibre à trouver entre passé et présent devient plus subtil que jamais. En France, comme ailleurs en Europe, la place attribuée aux aînés prend des contours multiples à mesure que les familles se réinventent.

Plusieurs études récentes mettent en lumière les différents visages de cette implication. Voici quelques-unes des fonctions que les grands-parents endossent aujourd’hui :

  • gardien de la mémoire familiale,
  • soutien logistique ponctuel,
  • complice affectif auprès des petits-enfants.

Oubliez la hiérarchie rigide : la famille se transforme en réseau, parfois dispersé, toujours mouvant. Les aînés naviguent entre l’envie de transmettre et le respect des choix parentaux. Les frontières deviennent plus poreuses, les repères moins codifiés.

Les sociologues pointent cette ambivalence au cœur de la relation avec les enfants. D’un côté, la demande de relais subsiste, souvent accentuée pendant les vacances. De l’autre, la discrétion devient la norme lorsque les parents souhaitent affirmer leur manière d’élever leurs enfants. Les pratiques varient selon les régions, les histoires familiales, le vécu migratoire ou la recomposition des foyers. Le lien intergénérationnel, loin d’être effacé, se décline désormais en plusieurs versions.

Ont-ils vraiment moins d’engagement qu’avant ?

Le degré d’implication des grands-parents intrigue les chercheurs. Martine Segalen, figure majeure de la sociologie familiale, invite à nuancer l’idée d’un désengagement généralisé. Autrefois, la proximité physique était évidente : familles sous le même toit ou dans la même rue, disponibilité dictée par les réalités économiques et sociales. Aujourd’hui, la donne a changé. Beaucoup de grands-parents continuent à travailler après l’âge de la retraite, ce qui réduit d’autant leur capacité à être présents au quotidien.

Pour autant, Claudine Attias-Donfut rappelle que près de huit grands-parents sur dix maintiennent un soutien, qu’il soit affectif ou logistique. Ce n’est pas l’envie qui manque, mais le temps et la forme que prennent ces échanges. Moins de gardes régulières, plus de moments choisis. Et ce sont aussi les parents qui fixent de nouvelles règles du jeu, jaloux de leur autonomie éducative et désireux de garder la main sur la relation avec leurs enfants, comme le souligne Morgan Kitzmann, sociologue à Paris.

Plusieurs facteurs contribuent à transformer ce lien :

  • La mobilité géographique éloigne parfois les familles.
  • Les attentes en matière de vie privée ont évolué.
  • L’affirmation des différentes générations peut créer une forme de concurrence symbolique, chacun trouvant sa place à sa façon.

Il ne s’agit pas tant d’une disparition de l’engagement que d’une transformation : la présence demeure, mais elle se module, s’adapte, se réinvente au gré des contraintes et des souhaits de chacun.

Des liens intergénérationnels parfois mis à l’épreuve par les évolutions de la société

Les relations entre générations ne sont pas épargnées par les bouleversements sociaux et économiques. Depuis les années 1980, l’éloignement géographique a fragmenté les familles. Les grands-parents peinent parfois à trouver leur place, se retrouvant cantonnés à quelques rencontres épisodiques. En ville, l’érosion du quotidien partagé est patente : les agendas ne coïncident plus, les kilomètres séparent plus qu’avant.

Si l’allongement de la vie permet de voir grandir plusieurs générations, il induit aussi des équilibres nouveaux. Les premières années, autrefois placées sous le signe du collectif élargi, laissent désormais le couple parental occuper le devant de la scène. Les parents d’aujourd’hui veulent marquer leur indépendance, poser leurs propres repères. La relation parents-enfants se concentre, parfois au détriment du lien avec les aînés.

Les mutations sociétales se répercutent concrètement sur la disponibilité des grands-parents :

  • L’instabilité professionnelle, la précarité et la multiplication des déménagements rendent la présence plus difficile à organiser.
  • Les familles recomposées ajoutent une complexité nouvelle aux transmissions et à la place de chacun.

La France n’échappe pas à ces évolutions, à l’unisson de l’Europe occidentale. Les chercheurs le constatent : le lien ne s’efface pas, il se transforme. Les attentes changent, la famille s’ajuste, parfois dans la tension ou l’inconfort. Ce qui demeure, c’est la capacité à inventer d’autres formes d’attachement, entre retrouvailles espacées et gestes d’affection renouvelés.

Seniors observant des enfants dans un parc

Des pistes pour renforcer la complicité et la présence des grands-parents au quotidien

Tisser une complicité intergénérationnelle ne repose plus uniquement sur la proximité physique. Les technologies, longtemps sources d’appréhension pour certains, deviennent des alliées précieuses. Un appel vidéo, quelques photos partagées, un message envoyé, et la chaîne familiale se prolonge par écrans interposés. À condition d’accompagnement, les aînés s’approprient ces outils et les font leurs.

Pour donner corps à la relation, rien de tel que d’inventer des moments qui créent des souvenirs communs. Prévoir des rituels, comme préparer une recette à quatre mains, ressortir de vieux albums ou partir marcher ensemble, ce sont autant de repères qui forgent le lien et laissent leur empreinte dans la mémoire de chacun.

Voici quelques idées concrètes pour nourrir la relation au quotidien :

  • Lancer un projet ensemble, comme cultiver un potager ou tenir un carnet de souvenirs, c’est inviter les grands-parents à s’inscrire durablement dans la vie de famille.
  • Proposer une garde ponctuelle, même brève, c’est épauler les parents et renforcer la solidarité entre générations.

Ces gestes, parfois simples, profitent autant aux petits-enfants qu’aux grands-parents eux-mêmes. Les travaux menés en France par Morgan Kitzmann ou Martine Segalen le rappellent : ces temps partagés stimulent l’estime de soi, renforcent le sentiment d’utilité et participent à la bonne santé mentale de chacun. Redéfinir la place des aînés, sans les réduire à de simples figurants, reste un formidable levier de cohésion pour la famille d’aujourd’hui.

Quand la transmission ne se mesure plus qu’en heures partagées, mais aussi en souvenirs construits ensemble, la famille gagne en force et en souplesse. Si les lignes bougent, l’attachement, lui, ne fait jamais défaut.

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